L'amitié a toujours été une chose difficile pour moi. C'est un des drames de ma vie, un qui ne se referme pas.
Quand j'étais enfant, j'avais une "meilleure amie". On avait très peu d'écart en âge et, comme nos mères étaient amies, on se disait naturellement frère et soeur. Mais elle habitait dans le sud de la france, moi à paris, on se voyait peu. On s'écrivait des lettres. Puis, à l'adolescence, elles ont commencé à s'espacer parce que nos personnalités avaient changé. Elle avait sa troupe de potes dans son lycée, tandis que moi je me faisais agresser dans le mien. Je pense qu'elle avait honte de moi. La dernière fois que je l'ai vue, je venais d'atteindre mes 18 ans .Elle est passée en coup de vent, elle était avec son mec, qui l'attendait dans la voiture. Elle m'a dit : "surtout ne fais pas comme moi". Elle est partie, sans un au revoir, comme si on n'avait jamais été amis. Intuitivement, j'ai su que je ne la reverrais jamais. Je lui ai écrit un long poème et l'ai glissé dans un tiroir de sa chambre. Je n'ai jamais su si elle l'a lu. Je lui disais adieu. C'est à ce moment -là que ma personnalité a nettement changé. Elle me manquait tellement que j'ai fait une sorte de transfert de personnalité : j'ai développé des attirances que cette fille avait et que je n'avais pas auparavant. J'ai commencé à boire de l'alcool, comme elle, à avoir des tas d'amants, comme elle, à fumer du canabis, comme elle, à avoir de mauvaises fréquentations, comme elle. Elle ne faisait plus partie de ma vie, et pourtant son ombre me possédait complètement. Quelques mois plus tard, je me suis fait violer. C'était l'été. Une fête entre copains. Un gars me fixait sur la terrasse, j'étais ivre. J'étais assis sur une chaise, il n'y avait que nous. Il s'est approché de moi sans un mot, a sorti sa bite et m'a dit de le sucer. Je n'en avais pas envie, j'avais surtout envie de dégueuler. Il m'a pris par les cheveux, m'a forcé à le faire. Il s'est retiré, m'a levé de la chaise, m'a poussé dans un coin de la terrasse, a baissé mon pantalon, m'a plaqué contre le mur et m'a pénétré en me faisant mal. Il m'a plaqué la main contre la bouche pour que je ne crie pas. J'étais tellement bourré que je me rendais à moitié compte de ce qui se passait, j'avais un voile dans les yeux, une pauvre vélléité de rébellion. Ensuite, j'ai vomi. Le reste, je ne m'en souviens plus. Ce dont je me souviens parfaitement, c'est de l'immense, l'intense et effroyable sentiment de solitude, d'isolement et de froid, qui fut le mien durant les semaines qui ont suivi. Je n'avais personne à qui en parler. Personne. J'ai fui ce froid glacial intérieur grâce à la drogue qui me réchauffait.
J'avais un ami gay, à l'époque. Manu. On s'est connus à l'école de danse. Curieusement, je n'ai jamais réussi à lui parler de ce viol, ni des autres. Il me filait de la cocaine. On s'est perdus de vue quand je suis parti au canada.
L'appelation "sans amis" me colle à la peau depuis l'adolescence. Aujourd'hui aussi, j'ai l'impression d'etre encore ce pauvre type que les autres n'aiment pas. D'ailleurs, ce n'est pas une impression : les gens ne m'aiment pas. Peut-etre parce que je suis trop direct, je ne sais pas. Avant mes 15 ans, je réussissais quand meme à voir quelques amis, mais après mes 15 ans, il y a eu une rupture dans ma vie. J'étais exténué par les engueulades violentes et malsaines entre mes parents. Mon père était alcoolique, un jour il m'a pris à la gorge et m'a soulevé de terre avec une haine viscérale dans la voix. J'ai découvert la haine, les insultes, la violence à ce moment. A l'école, on se moquait de moi parce que j'avais de gros cernes sous les yeux, que j'avais du mal à parler et que j'avais des trous de mémoire. Je suis devenu le bouc émissaire des élèves. Ensuite, pour me venger de leur mépris, je me suis forcé à devenir un pédé éfféminé pour me foutre de leur gueule, mais cela n'a fait qu'intensifier leur haine contre moi.
Si je raconte ça, c'est parce que depuis quelque temps je fais une dépression nerveuse à cause de ce sentiment de solitude qui refait surface. Meme si j'ai la chance d'avoir un mari protecteur et aimant, ainsi qu'une fille adorable, j'ai l'impression d'etre redevenu l'adolescent mal dans sa peau que j'étais. L'enfant seul. Cette enfance solitaire, j'en ai parlée dans mon roman "la destinée du cygne noir", les souvenirs ont ressurgi comme autant de bulles de savon. Je me suis souvenu de la violence de ma mère, des agressions au collège. De cette colère qui a débuté à ce moment de ma vie. Du premier pédophile avec qui j'ai eu des rapports sexuels tellement je me sentais seul. C'est comme ça que j'ai commencé à coucher avec n'importe qui : pour ne pas me sentir seul. Le sexe était un palliatif au mal-être. Comme je n'arrivais pas à me faire des amis, je donnais mon corps à qui en voulait, en espérant du respect et de l'affection en retour. Ce que je n'ai jamais eu.
J'ai eu beaucoup d'amants, mais extrêmement peu d'amis dans ma vie. Le seul vrai ami que j'ai, c'est mon mari. Mais, par moments, j'ai l'impression d'etre un poids pour lui. Alors j'ai cherché à me faire d'autres amis, via internet. ça n'a pas marché. ça se finit toujours comme avec ma "meilleure amie", c'est à dire dans l'indifférence, le silence, le rejet. Comme si je n'avais jamais existé pour quiconque. Souvent, on me trouve superficiel, formidablement égocentrique et désagréable. En vérité, je ne le suis pas plus que ça, mais je cache ma souffrance, mon hypersensibilité derrière un masque de légèreté, d'égo surdimentionné. Un faux moi qui cache le vrai moi pour ne pas souffrir. Mais la souffrace reste quand meme là, comme un prédateur tapi dans un coin sombre. Je n'arrive pas à me faire de vrais amis sur le long terme. Je ne veux pas de relations de potes, mais de vrais amis avec qui partager, échanger, réfléchir, douter, aimer, se disputer puis se réconcilier. Mais il y a des gens qui ne sont pas faits pour êtres aimés, qui ne sont pas faits pour avoir de véritables amis sur qui compter. Comme moi. J'ai l'impression de mendier des amitiés qui ne viendront jamais. Mais j'aurais tellement aimé retrouver un ami avec qui pouvoir parler de ces douleurs qui me hantent encore 20 ans après. Un ami, un seul.