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17 juillet 2022

Le visage de l'agressé

J'ai fait une pré-plainte en ligne pour signaler une agression sexuelle il y a trois ans. Je n'en ai jamais parlé à quiconque. C'était avec le producteur qui finançait mon spectacle.

Quand j'ai vu la possibilité de faire ce signalement sur internet, j'ai vraiment cru que ce serait une bonne idée, que je serai enfin libéré de ce fardeau. Qu'enfin, je pourrai porter plainte contre lui, et symboliquement contre tous les autres abus sexuels dont j'ai été la victime. Mais je crois que j'en suis incapable. Que j'en serai probablement toujours incapable. Je suis certainement d'une lâcheté crasse, mais absolument personne ne connaît mes pensées profondes en tant que personne agressée. Personne ne voit ces yeux où j'y ai lu de l'amusement quand j'ai dit que j'avais été abusé sexuellement, ces yeux qui me hantent et me hanteront toujours. Ce sont ces yeux-là qui m'empêchent de dormir.Ceux-là même qui m'ont encore réveillé à 2 heures de matin, après juste une heure de vague sommeil. Ces yeux où j'y lis de l'amusement parce qu'on imagine, avec un léger haussement de sourcils entendu, un gars en train de se faire sodomiser au lieu de se faire violer. Parce que ça fait sourire.


Personne ne sait combien mes sourires, mon énergie dissimulent en fait une grande détresse, des envies de disparaître pour de bon pour ne plus être harcelé par ces souvenirs.Combien je regrette à chaque fois que je m'en ouvre, que j'en parle. Combien je me sens sali à chaque fois que j'en parle. Comme un poison qui suppure. Parce que les autres ne comprennent pas ce que j'ai vécu, ce que j'ai enduré, pourquoi je suis si énervé parfois. Ils s'en foutent. Leurs mots sont si superficiels, en regard de la peur qui s'est insinuée en moi depuis tant d'années, de cette nausée qui me noue le ventre quand j'aborde le sujet.


Porter plainte n'est pas sans conséquences. Il ne suffit pas de se libérer d'un poids en allant au commissariat, il faut ensuite se replonger dans son histoire et aller au procès pour faire condamner aux Assises l'agresseur. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque de le foutre en taule pour le mal qu'il m'a fait, pour que justice soit faite, mais je suis incapable de me dire que l'agresseur risque de me hair encore plus et s'en prendre ensuite à moi. Parce que persone ne me dit que j'ai été courageux d'encaisser tout ça, d'y survivre. Comment je fais, parfois, pour continuer à sourire, à rire, à me regarder dans une glace qui me renvoie ce visage d'agressé ? Grâce au déni. C'est lui, mon kit de survie qui me fait oublier ces yeux horribles qui s'amusent de ce qui m'est arrivé. Les yeux ne mentent pas, la bouche si. On peut prétendre me plaindre, dire que je suis une victime, les yeux s'amusent toujours à me représenter en train de me faire sodomier et pas violer. Parce que les deux se confondent dans la tête des hypocrites.


Le policier (ou la policière) que j'ai eu en ligne n'a pas eu un mot de déplacé. Il a été très correct. C'est lui qui m'a proposé de déposer une plainte, mais il pense en termes judiciaires alors que moi je pense en termes humains. Quand il a voulu me donner une liste d'associations d'aide aux victimes, j'ai refusé. Parce qu'une fois j'ai téléphoné à une de ces associations de prétendue aide, et on m'a traité sournoisement de menteur. On s'est permis de juger mon vécu et de le chiffonner comme un vulgaire mensonge.


A quoi bon aller à ce rendez-vous avec l'enquêteur ?


Cet entretien en ligne a peut-être été pire que tout, dans la mesure où je me suis pris en pleine gueule une réalité que je ne voulais pas admettre. J'ai fait un signalement pour dénoncer une tentative de viol. Mais quand j'ai raconté ce qui s'est passé ce jour-là, le policier a été très clair sur un point : "monsieur, le comportement de cet homme n'était pas normal, il s'agit d'un viol, c'est un crime." Un viol. Pas une tentative de viol comme j'ai voulu y croire. Le déni a fait son oeuvre de camouflage. Par survie, je pense. Mais savoir que juridiquement c'est du lourd, c'est du procès aux Assises pour que le violeur réponde de ses actes, me fait très peur. Une plainte n'est pas anonyme, on m'a dit souvent que des tas de victimes de viol qui ont dénoncé leurs agresseurs se sont après fait agresser par vengeance.
En plus, il est trop tard pour que je porte plainte contre celui qui m'a violé quand j'avais 18 ans : il y a prescription au-delà de 20 ans, il faudrait que je contacte le procureur de la république pour qu'il fasse une enquête. Galère...


Je suis peut-être lâche, sûrement, mais je tiens à préserver ma vie. Je ne tiens pas à me replonger dans cette histoire, dans toutes ces histoires d'abus sexuels, qui m'ont miné le moral pendant tant d'années. Je ne sais pas comment j'ai fait pour y survivre. Cette société patriarcale nous fait croire que ,quand on subit un viol, c'est plutôt en réalité quelqu'un qui nous plaît, qu'on lui envoie inconsciemment des messages sexuels. Il y a sans cesse la peur d'avoir honte, d'être montré du doigt comme menteur. On n'est pas défendu en tant que victime. On nous pousse à ne pas admettre cette réalité du viol en se disant que ce n'était pas une agression. Mais le corps, lui, sait, quand un attouchement prolongé devient un viol.

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