C'est une expression poétique pour désigner en fait "bipolaire", qui est un terme nettement plus rude, plus médical. Mais la réalité semble la même.
Depuis de longues années maintenant, je suis double. J'ai toujours été un peu lunatique, enfant, mais il y a eu une année fatidique durant laquelle ma personnalité s'est scindée en deux. A l'âge de 15 ans, j'ai tout simplement été victime de harcèlement scolaire, et cela m'a flingué. J'étais le bouc émissaire de ma classe à cause d'un gars qui n'assumait pas du tout son attirance pour moi et qui s'est vengé. Le truc classique, quoi, mais qui a eu un effet dévastateur sur mon caractère. Son homosexualité non assumée le rendait très méchant avec moi. Après, il a mêlé ses potes à sa haine contre moi. Tous les jours, c'étaient des insultes, des insinuations humiliantes. Je ne cachais pas être gay, mais je n'étais qu'un gosse avec sa fragilité de gosse. Tous les jours pendant un an j'ai été humilié. Plus des problèmes familiaux avec mes parents.
Au bout de quelques mois, j'ai craqué. Je n'ai pas fait de dépression nerveuse, mais plutôt ... je ne sais pas expliquer car à l'époque aller voir un psy n'était pas à la mode et je me suis retrouvé avec des parents indifférents à mon état psychologique. Disons que j'ai commencé à développer deux comportements opposés : il y avait moi, le gosse sérieux, bon élève, un peu solitaire mais pas trop, tranquille. Et puis l'autre aspect de moi, nettement plus sombre et fantaisiste, langue de vipère, excentrique, hypersensible. Les gens autour de moi ont commencé à dire que j'étais "bizarre", parce qu'on ne comprenait pas mes réactions. Je n'ai bénéficié d'aucune aide pour régler ce traumatisme. La seule chose que je pouvais faire, c'était oublier. Alors j'ai lu beaucoup, je m'évadais complètement dans les livres. Puis après je suis passé à la cocaine. J'avais 16 ans, la première fois. J'étais mannequin à mes heures perdues pour des magazines, là-bas la drogue coule à flots. Puis, à 18 ans, le premier viol.
C'est à partir de là que j'ai clairement commencé à me dédoubler au niveau de la personnalité, donnant plus tard ma transidentité. Quand j'ai cessé la drogue, j'ai eu un moment l'impression de redevenir "un" mais je me suis rendu compte que ce dédoublement revenait dès que ma mémoire traumatique était ravivée. J'ai la chance d'être en couple avec un homme qui m'accepte comme je suis et ,qui plus est , a la finesse du psychologue. Mais cette dualité fait désormais partie de moi. Elle est ravivée pour un oui pour un non : quand j'ai écrit mon roman psychologique sur la drogue, par exemple, mais aussi quand j'ai lu "jolis jolis monstres". Je n'ai pas le choix, j'ai une personnalité divisée qui ne pourra jamais être réunifiée. Et puis, dans le fond, peut etre que je n'en ai pas l'envie. Parce que ses deux moi forment mon vécu, mes identités. ça devait m'arriver, puis voilà, même si ça fait mal.